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Le Recueil [Vol.1] – Écrire en temps de confinement (3/8)

Vacances de Noël Texte 3/8 – lien PDF

Par Christiane Laurin

Devinez qui viendra chez moi à Noël? En fait, je n’inviterai personne. La triste réalité c’est qu’il n’y a personne à recevoir. Depuis le mois de mars, début de la pandémie, l’année 2020 me fera découvrir la plus profonde solitude de ma vie, […]

… laquelle apparaissait seulement lors des jours pluvieux et sombres. Il y en a eu peu l’été dernier. Durant la saison, il a fait extrêmement chaud et humide et je me suis occupée à trouver des moyens de me rafraîchir. M’installer sur une chaise longue, sous le parasol, un contenant d’eau glacée à mes côtés, était ma plus grande activité quotidienne. Je ne voulais que lire, réfléchir et m’assoupir. C’était le calme plat. Le chant des oiseaux parvenait souvent à mes oreilles et cela me réjouissait. De mon balcon, je regardais les couleurs des feuillus imposants sous un ciel infini de bleu. Je me disais qu’il faisait bon vivre.

Des gens mourraient chaque jour. Les nouvelles ne parlaient que de la situation dans les CHSLD, les RPA et les hôpitaux. Tout le monde au combat et ce n’est pas encore la fin. Ce n’est pas une guerre où on se met coude à coude dans l’affrontement, non, s’isoler est la meilleure arme pour ne pas être atteint. Il faut se ressaisir! Courage! Je dois me redresser seule, car je n’ai pas une main pour tenir la mienne ou des bras pour m’étreindre. Il n’y aura pas ce brouhaha joyeux, ces rires spontanés et ces accolades amicales et affectueuses au Temps des fêtes. Il n’y aura pas à partager les plats cuisinés qui sentent bon les épices à tourtière, la dinde bien arrosée dont l’odeur nous met l’eau à la bouche et le parfum des desserts chocolatés et des coulis à l’érable.

Mes frères et sœurs évoluent depuis des mois dans leur bulle familiale, à trois ou à cinq. Je suis dans la mienne et je ne peux m’intégrer à la leur. L’automne a pleuré sur mes fenêtres et la nature a pris un air tristounet. Les fleurs se sont recroquevillées et les arbres, dénudés. Emmitouflée, je me promène dans les rues grises. À l’entrée des commerces, on se couvre le visage et on se désinfecte les mains. Chacun au combat, masqué. Le temps est froid, de plus en plus.

J’ai ressorti mes mignons lutins, ma tête de père Noël, mon bonhomme de neige et mon petit sapin scintillant, et les ai installés ici et là, sur une table de chevet, sur un bureau et sur la bibliothèque. Même que j’ai remplacé les pivoines blanches en soie dans le grand vase par les pompons d’hiver rouges et argent! Pour une fois, j’ai fixé un jeu de lumières rouges à la clôture de mon balcon. Histoire de mettre de l’ambiance.

Je m’assois et je ferme les yeux. Dans un silence pathétique, j’entends mon cœur battre dans ma poitrine. En quelques mois, j’ai vécu d’intenses émotions sans doute comme des centaines de personnes. Comment ne pas être affectés.es lorsque nos cinq facultés sensorielles ne nous mettent plus en relation avec le monde extérieur. Ah! Je peux voir, entendre, sentir et goûter, mais la complicité partagée de la beauté des choses, le saisissement des voix enthousiastes et le frisson des douces effluves des amis.es n’est plus là.

Mon goût est plus fade. Le toucher, essentiel à l’épanouissement social et déterminant pour la survie, me manque. Il nous manque à tous; il fait baisser la pression et le rythme cardiaque, il atténue la douleur et le stress.

Nous sommes loin d’être un peuple réservé. Nous sommes émotifs, expressifs et sociables. La spontanéité d’une poignée de main, d’un bisou sur la joue, d’un bras qui entoure les épaules et d’un échange à brûle-pourpoint est bien courante chez nous. Alors que nous sommes plongés.es dans une solitude sociale, nous sommes maintenant privés.es de ces démonstrations physiques qui nous réconfortent.

Cependant, cette solitude ne veut pas dire être isolés du monde. Quel privilège de pouvoir se connecter aux autres par la technologie. À travers l’écran, nous sommes un peu plus près; on jase, on rit, on converse des heures si on en a l’envie. L’espace-temps est comblé. L’ennuie s’évacue. Si on y réfléchit, la solitude pèse probablement moins à ceux qui vivent en famille, car le toucher se manifeste. Une caresse, un baiser, un effleurage à la chevelure, c’est rassurant.

Toutefois, la souffrance est incommensurable pour les familles dont les parents ont perdu leur emploi suite à la Covid-19. Du jour au lendemain, la vie bascule et s’installe alors l’angoisse du futur, l’incertitude de retrouver son travail, de payer ses factures et de nourrir ses enfants. C’est une épreuve psychologique et financière; le monde s’effondre. Pire encore, la violence envers les enfants peut émerger si elle n’existe déjà.

Oui, je m’assois et je réfléchis dans ce retranchement forcé. L’amour des uns et des autres se relâche, s’amenuise à mesure que le progrès crée des maîtres et des esclaves. L’argent, le nouveau Dieu. Des nouveaux milliardaires et des pauvres, appauvris. À l’échelle mondiale, des gens se sentent seuls dans le cœur et dans l’âme, vidés de tout espoir de sortir de leur misère. Comment fermer les yeux devant les tragédies humaines qui se vivent à travers le monde? On ne peut avoir de vision nombrilique ces temps-ci.

Je me souviens des Noël de mon enfance. On décorait le sapin ¨naturel¨ le 24 décembre et nous étions si excités, si heureux! Les cadeaux? Au Jour de l’An seulement. Noël c’était la messe de minuit et au retour, quelques délicieuses gourmandises préparées par maman. Au matin du 25, nous découvrions notre bas qui avait été suspendu à un tiroir de notre commode, débordant de petites surprises, de fruits et de chocolats. Nous ne nous attendions à rien d’autre que d’avoir le plaisir de rire et d’étaler nos découvertes.

Qu’allons-nous partager en ce Noël 2020? L’enfance, le commencement d’une vie où tous les rêves sont permis. Il y a l’espoir d’accomplir de grandes choses car le doute n’existe pas. L’enfant vit intensément le moment présent et ne s’inquiète pas de l’avenir. Il est bombardé d’objets pour le distraire, l’occuper et le stresser. Des smartphones entre les mains à 3 ou 4 ans, des jeux vidéo sur la tablette et toutes sortes de gadgets incroyables lui sont proposés. De l’enfance à la vieillesse, le chemin est parsemé de changements, de nouveaux apprentissages, d’échecs, de succès et d’incertitudes. La jeunesse crée son quotidien et trouve des occasions de se divertir. Il lui est pénible de vivre avec des restrictions. Autant les jeunes que les plus âgés doivent surmonter la même épreuve en ce moment. Limiter nos contacts physiques.

Nous pouvons partager l’espérance que tout ira bien. Que le monde sera meilleur. N’est-ce pas que Noël représente la naissance d’un renouveau, d’une libération? Se libérer de nos préjugés, de nos boulets psychologiques et rénover notre coeur? Cette année, allons à la rencontre de nous-mêmes dans la joie, l’amour et non dans la tristesse. Éloignée du bruit et de la distraction, je profiterai des journées de bien-être et de créativité. Je reposerai mon corps et mon mental. J’imaginerai que j’ai choisi de me déposer, en vacances, dans un endroit unique, tranquille et silencieux.

Je vous souhaite un joyeux Temps des Fêtes, inspirant, paisible et plein d’amour.


Crédits : [Christiane Laurin]
Texte p.8 à p.11, tiré du Recueil (Vol.1) : Écrire en temps de confinement, en cette année 2020. Assemblage de morceaux choisis, écrits par huit habitants du Quartier des générations. Un projet collaboratif entre la Fondation Berthiaume-Du Tremblay et le Quartier des générations. Idéation, conception et illustration : Annabelle Petit / Coordination : Vanessa Brabant / Correction : Cajelait communications.

Le Recueil [Vol.1] - Écrire en temps de confinement (1/8)

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